co-construction, stratégie, design avec une approche (éco-)systémique

Minga de Lille: travailler en réseau pour soutenir les communs

 Nous sommes nombreux à nous poser des questions sur l’articulation d’une activité économique – individuelle et collective – autour, avec et pour les communs. Et de nombreux défis se posent à nous :  économique, organisationnel, individuel, collectif… Nous nous sommes réunis les – 16 et 17 novembre 2014 à Lille pour un temps de réflexion-action sur ce sujet. Dans cet article je reviens d’abord sur la notion de communs et les bénéfices des modèles de production collaborative basés sur les communs . Puis, dans une deuxième partie, je reviens sur un atelier de co-création d’une formation-action pour aider les décideurs à embrasser les enjeux sociaux et politiques de la société numérique. Ceci sera l’occasion de montrer par l’exemple des pratiques de travail en réseau collaboratif ouvert.

Les Roumics

Récemment ont eu lieu à Lille les Roumics (Rencontres OUvertes du Multimédia et de l’Internet Citoyen et Solidaire) sur le thème des communs.

Les Roumics font partie de la même famille d’évènements que MousTIC, le Forum des usages coopératifs de Brest, la Quinzaine des Tiers-Lieux Libre et Open Source, des rencontres ayant toute une personnalité distincte, mais avec pour points communs un intérêt pour le numérique, l’innovation sociale et des valeurs de coopération, d’ouverture et de partage.

Le contenu était de grande qualité avec de nombreux ateliers autour des communs, une conférence gesticulée qui a magnifiquement bien expliquée le droit d’auteur et, comme temps fort, une discussion-débat rassemblant Michel Briand, Michel Bauwens et Bernard Stiegler (Vous pouvez retrouver la transcription prise de manière collaborative sur ce pad).

Simon Sarazin, Michel Briand, Michel Bauwens, Amandine Piron, Bernard Stiegler débattant sur les communs. Notez en arrière plan la projection du pad de prise de note collaborative réalisé en direct par des contributeurs assistant au débat.
Simon Sarazin, Michel Briand, Michel Bauwens, Amandine Piron, Bernard Stiegler débattant sur les communs. Notez en arrière plan la projection du pad qui montre la prise de note collaborative réalisé en direct par des contributeurs assistant au débat. Source: Collectif Catalyst.

En amont de ces rencontres un petit groupe de « commoners » (personnes produisant des communs) s’est réuni pour réfléchir aux moyens de financer des communs mais aussi produire des solutions . En voici un petit retour.

Les communs

Un petit rappel sur cette notion ancienne, mais remise au gout du jour par le numérique, les communs désignent des ressources gérées par et pour une communauté dotée de règles spécifiques de gouvernance pour un usage équitable et durable de ces ressources.

Les communs peuvent désigner une ressource matérielle, une forêt, une rivière, l’air que nous respirons, un objet, mais aussi des ressources immatérielles. Wikipédia est par exemple un commun de la connaissance.

A mi-chemin entre bien public et bien privé, les communs peuvent inclure individus et organisations privés ou publiques dans la gouvernance, faire l’objet d’une exploitation commerciale, mais dans le cadre des règles fixées par la communauté pour veiller à l’entretien de ce commun.

les communs et leur relations avec l'acteur public et le marché. Bon résumé produit par le réseau Unisson. CC-BY-SA
les communs et leur relations avec l’acteur public et le marché. Bon résumé produit par le réseau Unisson. CC-BY-SA

Commun et communauté: l’exemple de Wikipédia

Aujourd’hui extrêmement utile et utilisée, Wikipédia apparait maintenant comme quelque chose d’acquis, mais elle nécessite une gouvernance pour assurer son entretien.

La communauté s’est aussi dotée de règles et de principes concernant l’édition du contenu et les sanctions à l’égard des participants qui ne respectent pas ces règles. Au delà du contenu, la maintenance technique du projet et son financement sont particulièrement critiques.

La communauté s’est donc aussi doté d’une structure spécialisée, la Wikimédia foundation, qui travaille avec la communauté des contributeurs pour promouvoir le projet et récolter des fonds afin d’assurer la maintenance technique (développement du logiciel, gestion des serveurs…).

Imaginez ce qui se passerait si Wikipédia n’avait plus suffisant de fonds indépendants pour gérer son infrastructure.

Elle pourrait être obligé de mendier du sponsoring ou d’afficher de la publicité. Ceci pourrait faire fuir une grosse partie de la communauté qui assure pour l’instant bénévolement et par passion l’édition des articles.
Moins de contributeurs rendrait Wikipédia plus fragiles aux manipulations diverses (entreprises, groupes de pression, groupes religieux, spammeurs …) qui veulent manipuler l’information à leur avantage. Wikipédia rentrerait alors dans un cycle vicieux où l’information serait de moins en moins fiable ce qui ferait encore plus fuir usagers et contributeurs et pourrait finir par entrainer son effondrement.

Notez que Wikipédia étant sous licence libre, son contenu pourrait être repris ailleurs par un groupe motivé. Mais il pourrait être difficile d’arriver à recréer la magie qui a réussi à attirer des milliers de contributeurs autour d’un objectif commun et de recréer une communauté vivante et dynamique.

Un commun est donc complètement lié à une communauté qui l’entretient.

La valeur économique générée par la Production de pair à pair basée sur les Communs (CBPP)

Aujourd’hui de nombreuses personnes contribuent à des communs numériques: logiciels, plans de machines, contenus de formation, tutoriels, …

Ces communs ont une vrai valeur économique. Quand je réutilise WordPress pour faire un site web pour faire ma promotion ou vendre un service, j’en tire un bénéfice économique direct. Quand je me sers de WordPress comme base pour co-créer des plateformes de communication et de collaboration très performantes pour mes clients, j’offre une grande valeur ajoutée pour un cout relativement faible. Cela serait impossible sans le commun WordPress.

WordPress est d’ailleurs un bel exemple d’écosystème économique bâti autour d’un commun.

Plus de 23% de l’ensemble des sites web utilisent WordPress (source)  et il existe aujourd’hui toute une offre de services autour de WordPress: webdesigners vendant ou personnalisant des chartes graphiques, développeurs vendant ou personnalisant des modules. Hébergeurs, référenceurs, consultants, formateurs, enseignants, de nombreuses professions bénéficient du commun et s’en servent pour générer une activité économique.

Les communs génèrent d’autres types de valeurs non monétaires

Parce que les contributeurs sont aussi des usagers, la motivation n’est pas uniquement économique. En plus de cette valeur économique, les communs génèrent très souvent une valeur sociale et écologique, répondant à des besoins locaux, mais parfois aussi globaux.

Prenons l’exemple d’une communauté qui produit une voiture ou un tracteur open hardware. (l’open hardware désigne une machine ou un objet dont les plans ne sont pas brevetés, mais au contraire sont ouverts et réutilisables sous licence libre).

Contrairement aux industries dont le modèle économique est basé sur l’obsolescence programmée pour maximiser les profits (machines conçues pour tomber en panne juste après la fin de garantie)  modèle qui génère beaucoup de déchets, une communauté le produit d’abord pour son usage personnel et  aura tout intérêt à produire une machine la plus durable et réparable possible.

La question de la rétribution des contributeurs aux communs

Pourtant si les projets de communs peuvent générer de l’activité économique,  produisant une valeur marchande, sociale et écologique, le plus souvent les contributeurs ne tirent pas ou peu de profit monétaire de leur contribution (voire même investissent non seulement du temps mais aussi de l’argent).

C’est le cas de de nombre d’entre nous, formateurs, facilitateurs, développeurs, animateurs de tiers-lieux, contributeurs à de nombreux projets de communs. Adeptes d’une autre façon de travailler ensemble, plus coopérative, nous partageons nos ressources, méthodes, créations, productions, mais nous sommes toujours dans un équilibre économique précaire.

C’est donc pour réfléchir à comment soutenir économiquement tous les acteurs qui contribuent aux communs que nous nous sommes réunis en amont des Roumics pour réfléchir et faire ensemble.

La minga de Lille

J’en avais déja parlé précédemment à propos de la Minga de Brest, une Minga est un chantier collectif pour le bien commun. Même si elle n’en portait pas le nom, notre rencontre était dans l’esprit Minga.

Au cours de cette Minga de Lille, nous n’avons pas utilisé de processus ou de format d’animation particulier, mais plutôt fonctionné en auto-organisation sur le moment.

Après un tour de table de présentation de chacun et de ses intérêts, trois thèmes de travail ont émergés:

  • les différents modèles et outils possibles pour rétribuer les contributeurs afin de faire vivre et développer nos communs
  • co-créer une formation pour les décideurs (publics et privés) afin de les sensibiliser aux enjeux mais aussi utiliser cette formation comme source de revenus.
  • comment s’organiser collectivement pour inventer une nouvelle façon de travailler dans une logique d’archipel, avec notamment une réflexion sur un système d’échange de compétences professionnelles entre nous.

Nous nous sommes repartis dans les groupes et avons commencé à réfléchir ensemble. Comme à notre habitude nous avons co-rédigé un compte rendu sur un pad afin d’avoir des notes réutilisables pour nous et pour les personnes non présentes.

Voici le pad général qui contient les thèmes et les liens vers les prise de note de chaque sous groupe:
https://lite5.framapad.org/p/communs_eco

Je décrirai ici uniquement l’atelier auquel j’ai contribué, mais vous pourrez retrouver les compte rendus des autres ateliers dans les pads correspondants.

Outils pour faire vivre et développer nos communs : Outils rétribution

  • La rétribution des contributeurs
  • Les licences réciproques
  • Question de l’outil et de son animation pour déclencher et augmenter les possibilités de contribution
  • Trouver un modèle économique qui permette d’amener de plus en plus de contributeurs au commun
  • https://lite5.framapad.org/p/retribuer_communs

S’organiser collectivement pour inventer une nouvelle façon de travailler : Archipel

  • Nouvelle façon de faire du conseil / méthodologies pour répondre rapidement a des appels d’offre / marchés
  • Question de l’organisation du réseau, de la taille des structures économiques
  • Etendre le réseau à des personnes / structures
  • Quelle base (écosystème et infrastructure) pour « industrialiser » nos approches, pour discuter avec les autres mondes économiques
  • Comment des structures « traditionnelles » peuvent évoluer vers une logique de communs
  • Développer un mode économique pluriel
  • https://lite5.framapad.org/p/Archipel

Communiquer vers : faire connaître et reconnaître les enjeux du numérique et des communs : Formation

  • Sensibiliser et former nos décideurs
  • Sensibiliser les donneurs d’ordre, les financeurs et les prestataires
  • Quelle pédagogie, quels argumentaires pour accompagner ce changement de posture
  • Développer l’entreprendre en commun : outils d’accompagnement et d’appui
  • Comment sensibiliser et aider les personnes impliquées dans les transitions à révéler et valoriser leurs communs
  • http://pad.comptoir.net/p/communs_eco_atelier2
  • http://pad.comptoir.net/p/formation_communs_1h

Une formation-action pour aider les décideurs à embrasser les enjeux sociaux et politiques de la société numérique

Trop souvent les décideurs publics ou privés passent à coté d’opportunités rendues possibles par les communs voire même nuisent à ceux ci par ignorance et manque de compréhension.

Cherchant à contrôler ou à réinventer ce qui existe déjà ils gâchent une énergie et un argent incroyable alors qu’avec une meilleure compréhension du fonctionnement des communs et des communautés ils pourraient faire beaucoup plus avec beaucoup moins de moyens.

C’est après avoir entendu Michel Briand présenter le rapport du Conseil National du Numérique et la recommandation qu’il fallait des formations pour aider les décideurs à comprendre les enjeux du numérique que j’ai réfléchi à proposer une telle formation.

Il aurait été possible pour moi de créer seul une telle formation, mais cela avait beaucoup plus de sens de la co-créer avec d’autres experts du sujet qui partagent la même volonté de mutualiser et de partager les savoirs. En ayant des standards communs et en utilisant l’intelligence collective du réseau, nous pourrions créer une formation de grande qualité qui la rendrait incontournable.

J’ai donc profité de la rencontre pre-roumics pour avancer sur ce chantier avec des personnes intéressées elles aussi par une telle formation.

Réflexion collective

Le premier jour nous avons donc réfléchi et dégrossi de nombreux points à propos de cette formation:

  • que transmettre ?
  • quels seraient les contenus/thèmes  nécessaires ?
  • quels sont les contenus qui existent et que nous possédons déja ?
  • Comment devrions nous les stocker et les formater pour qu’ils soient facilement partageables entre nous mais aussi réutilisables dans différentes formations

Cette formation étant co-crée, elle est elle même un commun. Nous avons donc aussi réfléchi à la gouvernance de notre commun. Nous voulions à la fois garder une autonomie et une personnalité propre tout en mutualisant nos moyens. De façon intéressante ce sujet était lui traité par l’autre sous groupe.

Action collective: prototypage

Une envie commune du groupe était de ne pas seulement réfléchir, mais aussi de passer à l’action et de produire. Nous avons donc décidé de consacrer la dernière matinée à la production d’un prototype d’une formation-action d’une heure qui nous servirait de base pour la suite, mais pourrait aussi être rapidement utilisée pour communiquer auprès des décideurs.

Une heure est un temps très court et permet juste de gratter la surface, mais c’est l’intérêt d’un prototype, se limiter à l’essentiel pour produire quelque chose de concret qui peut être rapidement testé et amélioré ensuite.

Avant de nous mettre dans l’action et de nous recoller aux écrans, nous avons commencé par une marche créative dans le quartier afin de nous mettre d’accord sur les contenus et la répartition du travail entre nous.

Nous nous sommes ensuite remis sur les ordinateurs et les pads pour co-construire.

Nous avons ainsi produit des objectifs et une séquence pédagogique, rassemblé des contenus existant et rédigé une description pour promouvoir cette formation.

Le résultat n’est pas parfait, mais ce prototype nous permet d’y voir plus clair et constitue une base que nous allons maintenant pouvoir améliorer.

Cela a aussi été l’occasion pour moi de tester un module qui permet de créer des présentations en ligne grâce à WordPress et ainsi d’avoir une alternative libre à Google Présentation et les autres logiciels fermés.

Réflexion-action en réseau

Autre particularité de notre réseau, l’habitude de faire avancer les questions et les chantiers à chaque évènement (Brest, Montpellier, …) et de garder des traces sur des pads et des wikis.

Pourtant trop souvent ces contenus ne sont pas exploités autant qu’ils pourraient l’être.

Comment faire pour que des questions résolus à Brest servent de base à de nouvelles actions à Montpellier ? Comment faire pour que des chantiers entamés à Lille soient continués à St-Etienne ? Comment faire pour continuer un travail quand majorité des personnes qui l’ont lancé sont absentes  et que de nouvelles personnes reprennent le travail là où il avait été laissé par d’autres ?

Pour faciliter la reprise d’un projet par de nouveaux contributeurs, j’ai proposé un petit standard pour rendre nos pads plus accessibles et faciliter notre réflexion-action en réseau.

Pour cela il suffit simplement d’ajouter en haut de chacun de nos pads les contenus suivants:

  • Titre
  • Description en 3 lignes
  • Etapes suivantes
  • Hashtags

certains ont  ajouté aussi:

  • Contexte :
  • Participants:

Ceci permet de laisser des traces plus faciles à interpréter pour ceux qui n’étaient pas présent et passent après nous sur des pads parfois plein des pépites, mais dures à identifier dans le chaos créatif…

Cette petite habitude de fonctionnement si elle était adoptée, pourrait faciliter le travail en réseau collaboratif ouvert dans un mode stigmergique.

Pour la petite histoire ce mode de fonctionnement a été inspiré par une réflexion-action en réseau ayant débuté par un atelier accélérateur de projet au mini Moustic de Montpellier et nourrie d’autres réflexions collectives à la Quinzaine des tiers-lieux libres et open source à St-Etienne.

Suite de la réflexion-action en réseau

Le prochain rendez vous de la famille Archipel aura lieu du 25 au 27 mars à Montpellier pour les rencontres MousTIC. Le thème de cette année  sera justement la coopération au service de la formation. MOOC, pédagogie inversée, formats originaux d’animation et de facilitation, libre accès à la connaissance, outils collaboratifs, impact du numérique, les thèmes devraient être très riches.

Le programme est en cours de préparation et sera bientôt mis en ligne sur moustic.info

Si vous souhaitez découvrir et expérimentez de nouvelles façon de coopérer, de former, d’apprendre et vivre une expérience transformatrice ce sera le lieu et le moment.

Disclaimer: comme il y a deux ans je participe au collectif d’organisation de MousTIC et je ne suis donc absolument pas objectif 😉

Cet article a nécessité 6h30 de temps de rédaction

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